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Infrastructures maritimes d’importance vitale, les câbles sous-marins dédiés au transfert de données sont au cœur de l’actualité géostratégique et géopolitique mondiale. Espionnage d’état, sécurité intérieure, diplomatie, autonomie technologique et stratégique et bien sûr, souveraineté nationale sont des notions intrinsèques aux débats.

L’intégrité des millions de terra-données qui transitent par l’ensemble de plus de 450 câbles sous-marins est-elle menacée ? Mais surtout, comment expliquer le rôle croissant des états dans cet enjeu où se retrouve également opérateurs historiques (le plus souvent rassemblés en consortiums) et GAFAM ? Qui influence qui, et à quel point les équilibres sont aujourd’hui modifiés.

En 2015, La présence du navire océanographique Russe « Yantar » près de Cuba (et donc près du départ de nombreux câbles floridiens), ou l’accident fatal du mystérieux « Locharik », sous-marin russe à la réputation sulfureuse, alimentent aujourd’hui ces débats et font l’objet d’une obsession, parfois plus que de raison. On en oublierait presque la grande complexité technologique de la géolocalisation desdits câbles, leur accès en hautes profondeurs et surtout le traitement et le stockage de données démesuré mais néanmoins nécessaire. Que ce soient, les Russes, les Chinois ou les Américains, tous s’observent en permanence ; et l’intelligence stratégique d’État sur ce domaine est des plus poussée. En France, la Direction générale de l’armement en a fait également un enjeu de souveraineté numérique et d’autonomie stratégique, plus ou moins réussi.  

Du point de vue industriel, si on peut regretter d’avoir laissé échapper le fleuron Alcatel Submarine Netowork (ASN) à Nokia, et si l’industrie câblière pèse un poids contenu par rapport aux géants américains, japonais et chinois dans le secteur, le pays possède tout de même des opérateurs et industriels de premier plan. Louis Dreyfus (Travocean) ou Orange Marine et ses 6 navires câbliers dont le récent et très controversé SOPHIE GERMAIN (de fabrication sri lankaise, alors que certains chantiers nationaux espéraient le contrat de construction sous cette logique de l’autonomie stratégique) assurent construction, pose maintenance et opérations. Une industrie puissante et de plus en plus exposée à mesure que le besoin de transmission de données augmente. Une industrie à protéger.

La France est également attractive géographiquement pour accueillir les câbles en provenance de l’étranger. Le nouveau câble technologiquement avancé « Dunant » de Google vient relier début 2021 la côte Est américaine à Saint Hilaire de Riez en Vendée, sur les installations d’Orange.  Également début 2021, c’était « PeaceMed », le super câble reliant le Pakistan, l’océan Indien, l’Afrique de l’Est et l’Europe qui, à Marseille, se voyait rattaché aux installations françaises d’Interxion (data center). Le développement massif du cloud computing, du machine learning, du stockage et de l’analyse data nécessite toujours plus de data center et d’infrastructures dédiées.

D’ailleurs, ce dernier câble posé en partie par Orange Marine met la question de la sureté et de la sécurité un cran plus haut. De construction chinoise (HengTong Group/Huawei Marine), le câble sera également opéré conjointement par PCCW et Orange et relie donc l’Europe au Pakistan, un allié stratégique complètement assumé de Pékin (pour ne pas dire un pion avancé majeur dans le projet chinois des « routes de la soies », qu’elles soient maritimes ou digitales). Les départements Sureté et Sécurité des entreprises françaises et européennes ont du pain sur la planche et une multiplication en classification OIV (Opérateur d’importance vitale) de ces infrastructures critiques est à prévoir. Mais avons-nous en France les moyens de nos ambitions pour contenir une menace réelle ou avérée. Ne devons-nous pas pousser l’autonomie stratégique au maximum sur ces questions ultrasensibles.

Le rôle et le pouvoir des états sur ces consortium privés ou semi-étatiques donnent à réfléchir.

En mars dernier, Facebook renonçait à son projet PLCN de câble entre Hong Kong et la Californie sur des questions de sécurité intérieure émises par Washington.  En filigrane c’est bien sûr un bras de fer diplomatique et économique avec Pékin mais aussi la récente remise en question du statut spécial hongkongais.

Les jeux d’influences entre états et grands groupes numériques sont complexes. Néanmoins, ici c’est bien Washington qui souhaite monter d’un ton en évoquant de manière ostentatoire une indépendance numérique compromise en raison des liens étroits entre les opérateurs chinois (Huawei, ZTE, etc.) et le gouvernement central.

En juin dernier, c’est un autre projet qui est mis à mal sur des considérations équivalentes. Mené et financé par la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement, le projet de relier Kiribati, Nauru et la Micronésie par un nouveau câble sous-marin est avorté. Directement connecté au Coral Seas Cable System Australien (CSCS) et au câble réseau de Guam « HANTRU-1 », et donc, aux États-Unis, le projet est stoppé sous la pression et le lobby communs de Washington et de Canberra. Dès lors que le fer de lance chinois dans ce domaine, Huwei Marine, a été en position de remporter le contrat, des drapeaux rouges se sont levés. L’influence régionale historique australienne et américaine s’est sentie menacée face à celle en provenance de Chine. On rappellera que cette dernière cherche également à faire plier les derniers soutiens à Taiwan dans la région, dont Naurau et Kiribati qui fait l’aller-retour entre Pékin et Taiwan au fil des élections et des promesses de développement des uns et des autres.

Pour la Chine, cette « diplomatie du câble » ou, route de la soie digitale, est visible partout où cela lui apporte de l’influence, principalement dans les pays en développement ou en recherche de fonds, tels que dans le Pacifique, en Afrique, en Amérique du Sud, etc.  En 2018, c’est un consortium semi privé chinois qui raccorde le Brésil au Cameroun. Massivement subventionnés par l’état chinois, l’industrie du câble numérique y est maintenant surdéveloppée et le pays non seulement y exporte massivement sa fibre, son câble, mais les installe grâce à ses propres navires ou ceux de ses partenaires, et les opèrent. Au final, la boucle est bouclée.

En juin dernier, en retard, c’est au tour de l’Inde de prendre position sur cet échiquier de l’influence par le câble et les télécommunications sous-marines à haute vitesse. Via son opérateur national JIO et son partenaire américain (pour la pose) SUBCOM, elle mettra très bientôt en service l’India-Asia-Xpress (IAX) et l’India-Europe-Xpress (IEX). Le premier va lui servir d’outil pour contenir, quand cela sera possible, l’influence chinoise en Asie du Sud-Est où elle est en perte de vitesse.

Crédit photo : https://www.submarinecablemap.com/