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Opération commencée en mars 2022, la fusion du groupe ECA et d’iXblue vient d’être entérinée début octobre sous la bannière du Groupe Gorgé. Ces deux fleurons de notre industrie maritime se sont associés pour devenir un poids lourd du secteur afin de répondre à une demande mondiale en drones et en systèmes embarqués, robotiques, navigations, aérospatiales et photoniques.

C’est surtout sur le secteur très dynamique des drones sous-marins, entre autres, que l’on attend cette nouvelle puissance de feu, tant au niveau européen que mondial, face à la compétition chinoise, américaine, turque, coréenne…

Bien sûr, ici plus que jamais, c’est permettre à deux entités relativement petites de se développer et de créer les synergies nécessaires à leur développement ainsi que de résister à l’appétit de puissances étrangères, notamment américaine, qui se penchent régulièrement sur notre tissu industriel et technologique performant de manière plus ou moins agressive. Et, cela pose des problèmes de souveraineté que nous évoquons régulièrement dans les domaines ultrasensibles du moment ; la défense, la sécurité, la recherche et l’influence. Nous l’avons encore vu avec la pépite EXXELIA rachetée par la société américaine HEICO.

iXblue étant un spécialiste dans la fabrication de drones hydrographiques notamment, il est intéressant de faire un point sur ces engins plus ou moins autonomes et aux acronymes parfois mal compris, et surtout aux propriétés et aux usages très variés. L’avancée technologique en mer et la taille de la flotte disponible défini la puissance de l’État, son influence et sa capacité à peser dans les débats du monde marin de plus en plus sujet aux conflits. Et tout cela, avec des véhicules sans le moindre équipage.

Un drone marin qu’il soit USV (Unmanned Surface Vehicle), ASV (Autonomous Surface Vehicle), AUV (Autonomous Underwater Vehicle) ou ROV (Remotely Operated Underwater Vehicle), c’est d’abord un engin plus ou moins autonome mais dédié à une ou plusieurs opérations maritimes spécifiques. Nous constatons également que dans l’imaginaire collectif, un drone de surface ou sous la surface a une forte connotation militaire. En réalité, si on met bout à bout l’ensemble des secteurs du drone marin, on constate que le civil, la recherche subaquatique (bathymétrie/hydrographie), le transport de marchandises et d’hommes, l’exploration, la maintenance et la surveillance de site stratégiques, et bien sur l’offshore, représentent la très grande majorité de la clientèle des fabricants de drones. Les chiffres issus du secteur militaire et du secteur naval sont rapidement mis en avant, mais cela reste une fraction de la demande civile actuelle. Les marines du monde entier, à commencer par les marines chinoise, nord-américaine, russe, mais aussi française, indienne, brésilienne, turque, coréenne ou japonaise ont déjà militarisé efficacement leurs drones autonomes. De plus, certains programmes américain (DARPA) ou russe (FPI) tournent à plein régime pour sortir des merveilles. Cependant, le militaire ou la défense (ou l’attaque dans une moindre mesure) s’opposent encore beaucoup à l’éthique et aux risques d’un cyberpiratage et restent cantonnées officiellement aux missions régaliennes comme la guerre des mines, la protection des populations ou la dissuasion. La guerre en Ukraine a placé un coup de projecteur en mer Noire sur des programmes plus offensifs, mais jusqu’à aujourd’hui la plupart des programmes estampillés Navy, PLAN, marine nationale, etc. le sont dans les cadres susmentionnés. Dans certain cas, notamment en Chine, la frontière entre programmes civils et programmes militaires est volontairement floue. De plus, comme pour les flottes de navires hydrographiques, celles des drones de surface et sous-marins entraînent de sérieuses questions quant aux réelles ambitions de leurs exploitants.

On va moins parler de naval que du civil, mais il faut bien comprendre que les passerelles entre les deux mondes sont courantes et recherchées, la plupart des projets militaires sont une excroissance de besoins ou de développements civils. L’inverse est vrai aussi, mais plus rare. Les crédits duaux sont une des seules possibilités pour une marine comme la France de concevoir un outil technologique performant et économiquement viable.

La question de la souveraineté est intéressante à plusieurs niveaux.  Cela fait des années que la France s’équipe de drones aériens de facture américaine. C’est encore une technologie américaine qui nous a permis de retrouver le Minerve, ce sous-marin perdu depuis 1968. Que cela soit dans les airs, sur terre et sur ou sous les mers, la volonté de chaque état est de s’affranchir de partenaires afin de contrôler l’information récoltée.

Au vu de la mondialisation exacerbée et des chaines d’approvisionnement perturbées, c’est globalement impossible. Il existe toujours aujourd’hui une puce ou un système embarqué, un moteur étranger dans la conception du drone. Même aux États-Unis, on peut retrouver une technologie française, par exemple Safran, dans du matériel stratégique. Cela fonctionne dans les deux sens, mais force est de constater que l’emprise américaine reste importante à ce stade. Ce qui d’ailleurs leur permet de justifier certaines lourdes sanctions mises à l’encontre de nos industriels de type embargo et FCA.

Si les interdépendances sont nombreuses, les grandes puissances tentent constamment de s’en affranchir, notamment pour ces raisons. Si aujourd’hui il s’avère encore compliqué de s’affranchir de la technologie américaine dans les drones aériens, en mer, la France possède de vrais arguments et d’un vrai tissus technologique et industriel performant pour y arriver. Nous remercions la société américaine OCEAN Infinity et sa technologie mais la France reprend le contrôle petit à petit, notamment au moyen de synergies, précédemment citées dans cet article.

C’est bien évidemment la même chose pour les autres nations qui tentent d’y parvenir, mais les enjeux de pouvoirs et d’influence et les alliances sont telles que certaines ne peuvent y échapper, le Japon ou la Corée par exemple sont pris dans leurs ambitions de rayonnement personnelles, leur d’ultradépendance et l’interopérabilité forcée avec leur allié américain.

Si on prend le cas de la France, sa flotte océanographique nationale, ainsi que la marine et son écosystème font d’elle un acteur de premier rang. Une des plus complète et performante. L’institut Ifremer et ses 6 engins sous-marins de types ROV, Naval group et son nouveau démonstrateur de drones sous-marins océaniques ou encore iXblue et son DriX, nous prouvent que, non seulement nos industriels sont pointus, mais que la technologie Made in France est exportable chez nos « alliés. »

Revenons aux drones, si vous parcourez les sites Web de l’Ifremer et du SHOM, vous y trouverez une foule d’informations sur l’avenir de la flotte océanique française. Je peux d’ailleurs citer l’IFREMER :

« Les recherches technologiques dans le domaine sous-marin s’articuleront autour de trois axes permettant la réalisation de scénarios multi-engins performants, ou le service des observatoires de demain : concepts d’autonomie et d’intelligence embarquée pour les AUV (Autonomous Underwater Vehicle), techniques avancées de télé-opération des ROV (Remote Operated Vehicles), interconnexion des engins et des outils dans des schémas d’opérations multi-systèmes. »[1]

J’en ai fait de même pour les équivalents norvégien, coréen et brésilien, par exemple, des nations qui poussent la technologie. On se rend compte que premièrement, le sujet est omniprésent. Deuxièmement, les pays sont en concurrence parce que non seulement l’exportation est un débouché trop important pour ne pas être le premier et le meilleur, mais surtout un avantage technologique permet de mieux surveiller, protéger et exploiter sa zone économique exclusive (ZEE). Et, vous l’aurez compris sur Sovereignsea, sujet très actuel, la France en connait un rayon sur les ZEE avec 11 millions de kilomètres carrés. Mais tous les pays sont aux abois pour définir les grandes stratégie marine et sous-marine.

Aujourd’hui, maitriser une technologie ROV, c’est d’être capable de descendre pus vite, plus souvent et plus longtemps sur les câbles sous-marins, gagner des appels d’offres et maitriser les datas qui en ressortent. C’est aussi cartographier plus régulièrement et efficacement les fonds sous-marins pour découvrir les richesses qu’ils contiennent et les exploiter. Réagir plus vite en cas de découvertes océaniques majeures, comme le volcan sous-marin à l’ouest de l’île Maurice en 2020.

La Chine est un spécialiste dans le domaine, et sa politique est clairement orientée vers le USV. On peut se perdre en découvrant la communication autour de « Blue network communication System », le fameux réseau de communication en mer autonome et intelligent de Pékin, dans sa ZEE « autoproclamée ». Un système de trackers et de senseurs ultrapuissants, labellisés positivement pour l’étude de l’environnement marin et la prévention des crises naturelles mais qui servent surtout le militaire et les intérêts stratégiques de la marine chinoise. L’ensemble du système est contrôlé et surveillé par des dizaines de drones intelligents qui permettent également de le protéger.

La récupération des engins autonomes devient alors une composante essentielle de l’action de l’État en mer. Il ne se passe pas un mois sans qu’un drone ne soit récupéré, décortiqué et analysé, et parfois retourné à son propriétaire. Les drones sont aujourd’hui carrément utilisés pour accompagner, surveiller, et récupérer d’autres drones. La marine indonésienne vient de récupérer un nouveau SeaWing soi-disant chinois. Il n’a d’ailleurs pas été rendu à son propriétaire.

La prochaine course technologique dans le domaine du drone sous-marin est aujourd’hui orientée vers l’intelligence artificielle, les escadrons collaboratifs ou les autonomies renforcées, mais tout ça bien sûr à des fins de « Search & Rescue », de protection des populations et de l’environnement ou de la recherche collaborative. En tout cas, c’est que l’on essaie de mettre en avant.